Résultats scientifiques de la mission Huygens sur Titan

 

 

Il est facile de trouver sur le net la description et la chronologie de la mission Titan. Cependant j'ai trouvé difficile d'accéder aux résultats scientifiques de la mission, de manière plus complète.

Je me suis donc basée sur plusieurs articles de Nature (voir la bibliographie) pour faire une petite synthèse !

 

Cette page date de mars 2011

 

Titan : un satellite à part

 

Titan est le plus gros satellite de Saturne.

Il a une particularité qui rend son étude très intéressante : en effet, Titan a une atmosphère dense et épaisse.

Une des questions principale le concernant est : d'où vient cette atmosphère ???

 

En effet, on pourrait tout d'abord penser que Titan a simplement conservé son atmosphère primitive parce qu'il est assez massif (et qu'il a donc un champ de pesanteur plus fort, et retient les molécules de son atmosphère par la force de gravitation).

Cependant, Ganymède, le plus gros satellite de Jupiter, est encore plus massif que Titan, et ne possède aucune atmosphère. C'est d'ailleurs un monde glacé totalement différent de Titan.

Une des hypothèses pour expliquer cette différence était de considérer que Jupiter étant beaucoup plus massif que Saturne, elle "attirait" beaucoup plus les comètes et autres petits corps du Système Solaire, ce qui augmentait la probabilité de collision de ses satellites avec ces petits corps. Beaucoup plus de comètes ou météorites auraient heurté Ganymède que Titan, et auraient contribué à "arracher" l'atmosphère primitive du satellite jovien.

Néanmoins, cette hypothèse n'est pas suffisante pour expliquer la présence de l'atmosphère de Titan.

 

titan.jpg

Photo de Titan prise par la sonde Voyager en 1980. On remarque que la surface du satellite est intégralement cachée par une épaisse atmosphère de couleur orangée.

 

L'intérêt de se poser sur Titan est donc double :

- étudier l'atmosphère durant la descente

- découvrir sa surface

 

 

 

 

 

 

La mission Huygens

 

Après avoir été survolé par la sonde Voyager 1 en 1980, on s'est aperçu que Titan était un satellite complexe, très intéressant à visiter : on soupçonnait une forte activité dynamique de l'atmosphère. On a aussi cru qu'on y trouverait des traces de vie !

 

C'est ce qui a poussé l'ESA (Agence Spatiale Européenne) a développer un atterrisseur destiné à se poser sur Titan.

Il fut baptisé Huygens, du nom de l'astronome hollandais qui avait découvert le satellite en 1655.

 

Cet atterrisseur est en fait l'une des deux sondes du projet Cassini-Huygens, mené conjointement par la NASA, l'ESA et l'agence spatiale italienne.

  sonde-Huygens--credits-ESA-1998.jpg

Cassini est une sonde destinée à se mettre en orbite autour de Saturne, pour étudier la planète, et en particulier ses anneaux (elle les a traversé) et sa magnétosphère(1), ainsi que son environnement (et en particulier ses satellites).

 

Huygens est donc resté "accroché" à Cassini jusqu'à leur arrivée dans le système saturnien. L'ensemble a été lancé le 15 octobre 1997 et est arrivé dans le système saturnien après 7 ans de voyage, en juillet 2004.

 

Le rôle de l'atterriseur Huygens était de se poser sur Titan, et d'analyser son atmosphère tout au long de la descente.

Ce qu'il a fait, avec brillo, le 14 janvier 2005. Cette mission a duré quelques heures seulement, mais a été un succès, tout comme la mission (plus longue) de Cassini.

 

La sonde Huygens. Crédit : ESA 1998

 

Les instruments de l'atterrisseur Huygens

 

Huygens était muni de six instruments de mesure :

 

- HASI : Huygens Atmospheric Structure Instrument

- GCMS : Gaz Chromatograph Mass Spectrometer

- DWE : Doppler Wind Experiement

Objectif principal : déterminer le profil de vitesse du vent zonal sur Titan en fonction de l'altitude, entre 0 et 160 km d'altitude, et avec une précision de environ 1 m/s.

- DISR : Descent Imager/Spectral Radiometer

- ACP : Aerosol Collector and Pyrolyser

Objectifs : étudier la composition chimique des aérosols(4) photochimiques de l'atmosphère, les concentrations relatives des composés organiques(6) condensés en basse atmosphère et dans la troposphère.

-SSP : Surface Science Package

Objectifs : déterminer les conditions et la nature physiques de la surface de Titan au lieu d'atterrissage ;

                   déterminer les constituants majeurs de la surface

                   Au cas où la sonde se pose sur un océan, mesure de ses propriétés thermiques, optiques, acoustiques et électriques, ainsi que sa densité

 

Pour plus d'informations, je vous invite à consulter la bibliographie en fin de page : des liens s'y trouvent, concernant chaque instrument.

 

 

Les objectifs scientifiques de la mission Cassini-Huygens sur Titan

 

- Déterminer la composition de son atmosphère

- Chercher les sources d'énergie pour la chimie se déroulant dans l'atmosphère

- Étudier les propriétés des aérosols(4) et la physique des nuages

- Mesurer les vents et la température globale

- Déterminer les propriétés de la surface

- Étudier la haute atmosphère et l'ionosphère

 

L'atmosphère de Titan est dense et opaque : elle cache donc le sol du satellite. Pendant sa descente, Huygens a donc révélé une atmosphère complexe (présence de vents, nuages, chimie complexe due aux rayonnements, pluies...) mais aussi un monde extraordinaire au niveau de la surface : creusé de chenaux où des fluides ont du s'écouler, de galets, dunes, zones sombres et zones claires...

 

 

 

Profil de densité (HASI)

 

L'instrument HASI a mesuré la densité de l'atmosphère de 1400 km d'altitude, jusqu'à la surface.

Voici le graphe obtenu :

profil-densite-HASI.JPG

 

 

Figure 1 : Profil de densité établi par l'instrument HASI, en fonction de l'altitude.

 

En trait plein, la mesure de HASI.

En pointillés, prévisions des modèles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En dessous de 160 km d'altitude (altitude où les parachutes de la sonde ont été utilisés), il a également mesuré directement la température et la pression de cette atmosphère. Au plus hautes altitudes, ces grandeurs ont été déduites selon ces modèles :

 

 

 

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Méthode de calcul de la pression d'un gaz au repos dans un champs de pesanteur :

 

En faisant l'hypothèse que l'on a un gaz à l'équilibre hydrostatique, et en connaissant la valeur du champ de pesanteur sur Titan, on peut déduire la pression d'après la mesure de la densité :


Figure 2 : volume élémentaire de gaz dans champ de pesanteur

pression-fluide.JPG

 

 

 

On considère un volume élémentaire de gaz dans l'atmosphère. Ce volume (parallélépipédique) est soumis aux forces de pression (sur chacune de ses faces)  due au reste du gaz en dehors du volume, et à son propre poids (dans le champs de pesanteur de valeur g)

Les forces de pression sur les faces parallèles à l'axe (Oz) se compensent, car la pression ne dépend que de l'altitude z. Donc il ne reste que les forces de pression sur les faces perpendiculaires à (Oz) et qui sont selon cet axe, ainsi que le poids qui est lui aussi sur cet axe.

On note dS la surface des faces perpendiculaire à (Oz)

 

 

Comme le gaz est au repos, selon le principe fondamental de la dynamique, la somme des forces est nulle. On projette cette relation sur l'axe (Oz) et on obtient :

- p(z+dz).dS + p(z).dS + mg = 0       avec m la masse de l'élément de volume

 

 

En posant m = μ.dS.dz   où μ est la masse volumique du gaz (directement lié à la densité)

On obtient l'équation différentielle :

dp/dz = -μ.g

 

Cette équation ne s'intègre par facilement car μ dépend de la pression et de la température...

 

 

 

 

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Température d'un gaz :

 

Si on connait la densité et la pression, on peut en déduire la température en utilisant la loi des gaz parfaits !

Cette loi est pV = nRT, avec p la pression, V le volume, n le quantité de matière, R la constante des gaz parfaits et T la température.

comme n=m/M avec m la masse et M la masse molaire du gaz, et μ=m/V la masse volumique, on obtient

T = p.M/(μ.R)

Or on connait R ( 8.31 J/mol/K), on connait μ à partir de la donnée de la densité, et M la masse molaire du gaz (liée à la composition du gaz)

 

On peut donc en déduire la température !

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Profil thermique de l'atmosphère

 

La mesure de la densité par HASI et les méthodes décrites ci-dessus permettent d'établir les profils de pression et de température en fonction de l'altitude.

 

Le profil thermique est particulièrement intéressant :

 

temperature-et-pression.JPG

Figure 3 : profil de température et de pression en fonction de l'altitude.

 

En trait plein : mesures de HASI

En pointillé : prévisions des modèles théoriques

 

Mésopause :

T = 152 K à 490 km

Stratopause :

T= 186 K à 250 km

Tropopause :

T = 70.43 K à 44 km

 

 

 

 

 

 

 

 

Au dessus de 150 km d'altitude, on observe des oscillations de 10-20 K autour d'une température moyenne de 170 K. Ces oscillations sont dues à des couches d'inversion, provoquées par des phénomènes dynamiques tels que des ondes de gravité(3) et/ou des marées atmosphériques...

On remarque donc que cette haute atmosphère est relativement chaude : en effet, se sont les aérosols(4) présents (on parlera plus tard des éléments chimiques détectés dans l'atmosphère) qui chauffent l'atmosphère en absorbant le rayonnement solaire (ultraviolet).

 

Sous 150 km, on observe une augmentation de température avec un maximum relatif de 186 K, puis une baisse jusqu'au minimum de 70 K à 44 km (la pression est alors de 115 hPa). Ce minimum est lié à la tropopause.

 

Entre 80 et 60 km on observe donc une forte augmentation de température ainsi que, là encore, des couches d'inversions. On se trouve alors sous la tropopause; il y a probablement un effet de serre (absorption induite par la collision entre composants majoritaires (méthane, diazote et dihydrogène).

 

A la surface, on a T = 93.65 ± 0.25 K et une pression de 1467± 1 Pa, ce qui est environ 1.5 fois la pression atmosphérique à la surface de la Terre.

 

On observe une couche atmosphérique d'environ 10 mètres au dessus de la surface où il y a très peu de turbulences : cela indique qu'il n'y a pas de flux de chaleur montante depuis le sol (ou ce flux est très faible): le sol est donc de la même température que le gaz situé juste au dessus de la surface.

 

 

 

Etat électrique de l'atmosphère

 

Les modèles théoriques prévoyaient l'existence d'une "ionosphère", c'est à dire une couche de l'atmosphère dont une partie des molécules sont ionisées (et donc présence d'électrions libres, pour assurer la neutralité du gaz à grande échelle). Ces modèles prévoyaient un pic de concentration électronique entre 70 et 90 km.

 

L'état électrique de l'atmosphère a été mesuré à partir de 140 km d'altitude, et un pic de conductivité a été mesuré autour de 60 km.

 

Les sources d'ionisation de l'atmosphère de Titan sont :

- Les électrons de la magnétosphère(1)de Saturne (ils ont une influence au dessus de 600 km d'altitude)

- Le rayonnement UV du Soleil (comme le rayonnement décroit avec le carré de la distance, il est beaucoup moins important que celui qui arrive sur Terre, et n'a d'influence qu'au dessus de 40 km d'altitude)

- (particules très accélérées)

 

On a également enregistré des traces de décharges électriques qui pourraient être des traces d'éclair, probablement entre nuages de méthane. Par contre, il n'y a pas eu de détection de tonnerre (et ceci est compatible avec les prévisions théoriques).

 

Cependant la chimie de l'atmosphère ne repose pas sur les décharges électriques (qui seraient anecdotiques) mais bien sur le rayonnement UV et les particules venant de l'environnement de Saturne ou des rayons cosmiques.

 

N.B : Titan n'a pas de champ magnétique propre. Il n'y a donc pas de variation des rayons cosmiques avec la latitude (au contraire, la Terre possède un champ magnétique, responsable d'une variation de la direction des rayons cosmiques et flux de particules solaires : c'est ce qui est à l'origine des aurores boréales !)

 

 

 

Composition chimique de l'atmosphère (GCMS)

 

Huygens a observé une chimie organique complexe dans l'atmosphère de Titan, notamment sous 150 km d'altitude.

 

La haute atmosphère est composée d'azote atomique (entre 82 et 94%), de méthane (8%) et d'argon principalement.

nature04122-f1.2A.JPG

Figure 4 : Spectre de l’atmosphère : abondance des composés chimiques

 

 

La présence d'argon 40 est une preuve de forte activité géologique (passée ou présente) : en effet il résulte de la désintégration du potassium 40, et abonde dans les roches silicatées.

 

Une des questions qui se posait (et se pose encore) est l'origine de l'azote sur Titan ! Il est probable qu'il était présent sous forme d'ammoniac (NH3) à la formation de Titan, et qu'il est libéré dans l'atmosphère par dissociation de l'ammoniac présent à la surface de Titan par les rayons cosmiques(2).

 

Un fait important est l'absence des gaz nobles lourds : c'est un fait surprenant, car ces gaz ont été trouvés dans les atmosphères de Vénus, Mars, et sur certaines météorites. Cependant certains scénarios sur la formation de Titan avaient prédit cette absence.

 

En effet, on observe sur le spectre ci-dessous (figure 5) l'absence de krypton, de xénon, d'argon 38... Seul de l'argon 36 a été détecté, mais en très faible quantité (une fraction molaire de l'ordre de 2.10-7), sachant que la limite de la mesure est de 10-8 (pour les fractions molaires).

nature04122-f1.2b.JPG

Figure 5 : spectre de l'atmosphère entre 75 et 77 km d'altitude : mise en évidence de l'absence des gaz rares lourds.

 

 

La glace d'eau, présente en grande quantité sur Titan (elle constitue une bonne partie du sol), a la capacité d'emprisonner les gaz rares et l'azote N2. A priori la glace d'eau sur Titan ne contient pas ces éléments (information à vérifier) : cela voudrait dire que ces éléments n'étaient pas là à la formation de Titan.

Cela nous apprend, d'une part, que les gaz rares n'ont jamais été là (ils n'ont pas disparu mais étaient simplement absents depuis la "naissance" de Titan.

D'autre part, le  N2 présent dans l'atmosphère n'était pas présent à la formation de Titan, il devait donc être stocké sous une autre forme : c'est l'hypothèse évoquée plus haut de la dissociation par photolyse (et autres réactions) de l'ammoniac (NH3) et autres composés azotés présents en surface de Titan, ce qui libère de manière régulière de l'azote dans l'atmosphère.

Cet ammoniac pourrait provenir d'un cryovolcanisme (volcanisme mettant en jeu de l'eau), mais cela reste spéculatif pour le moment.

 

 

NB : formation de Titan : le modèle des planétésimaux

 

 

Lumière particulière sur le méthane : sa répartition, son cycle, son origine

 

Le méthane a une place particulière sur Titan : il est en effet au coeur d'un cycle semblable à celui de l'eau sur Terre : évaporation depuis des lacs (observés par la sonde Cassini), formation de nuages par condensation, pluies...

Mais le méthane est également dissocié en haute atmosphère par les rayonnements, et ce de façon irréversible. Il y a donc une "perte" de méthane continuelle... Et selon les modèles, tout le méthane présent à la formation de Titan aurait dû avoir disparu aujourd'hui. Alors, pourquoi reste-t-il du méthane sur Titan ? Il y a manifestement une source de méthane continue ou régulière qui alimente l'atmosphère !

 

tch4altitude.jpg

 

Figure 6 : profil de la fraction molaire du méthane CH4 (par rapport à l'azote N2) dans l'atmosphère de Titan en fonction de l'altitude

 

Sur cette figure, on voit que la fraction molaire en méthane passe de 1.5% en haute altitude à 5% au niveau de la surface.

 

On remarque en particulier un "plateau" vers 8 km d'altitude : cela est dû au brouillard de méthane qui se condense à cette altitude (et la température correspondante).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est également très intéressant de se pencher sur l'enregistrement à l'atterrissage de la sonde sur Titan :

TMethane.at.Surface.jpg

 

Figure 7 : Évolution des quantités d'azote et de méthane pendant la descente, juste avant, pendant et après l'atterrissage de la sonde (données enregistrées par l'instrument GCMS)

 

 

 

 

 

 

On remarque qu'au moment de l'impact, la quantité de méthane gazeux mesurée dans l'atmosphère augmente brusquement.

Cela s'explique simplement : le méthane se trouve sous forme liquide à la surface ou dans le sol de Titan. La sonde en arrivant, a chauffé ce sol, ce qui a provoqué une évaporation du méthane liquide et donc une brusque augmentation du méthane gazeux autour de la sonde !

Ce graphe nous apprend donc que le méthane se trouve aussi sous forme liquide, à la surface de Titan.

 

Nous reviendrons plus tard à l'atterrissage de Huygens et à la surface de Titan.

 

 

 

Comme je l'ai évoqué précédemment, le méthane subit un cycle complexe !

 

cycle-methane.JPG

 

Figure 8 : schéma récapitulatif du cycle du méthane dans l'atmosphère de Titan

 

 

 

L'instrument RADAR de Cassini (sonde qui orbite autour de Saturne et a survolé Titan plusieurs fois) a détecté des lacs de méthane à la surface du satellite.

Ce méthane s'évapore dans l'atmosphère. Une partie se condense vers 8 km (on l'a vu précédemment) et une autre partie s'élève en plus haute atmosphère.

Autour de 8 km, il y a donc formation de nuages de méthane, qui retombe en pluie sur Titan, ruisselle jusqu'à rejoindre les lacs. Et la boucle est bouclée.

Mais ce n'est pas tout. Le méthane présent plus haut dans l'atmosphère est détruit par photolyse (à cause des rayon ultraviolets du Soleil, des rayonnement de particules énergétiques provenant de la magnétosphère(1) de Saturne et des rayons cosmiques(2)). Cette photochimie libère des atomes d'hydrogène H qui sont plus légers que le méthane, et suffisamment léger pour échapper à la pesanteur régnant à cette altitude. Les noyaux H s'échappent donc : il n'y a donc aucun moyen de reconstituer le méthane : cette réaction est donc irréversible : le méthane disparait donc de manière continue de l'atmosphère. Comme je l'ai évoqué plus haut, selon les modèles théoriques de la formation de Titan, à ce rythme, tout le méthane présent lors de la formation de Titan aurait du avoir disparu. Il y a donc une source de méthane non négligeable sur Titan ! Mais quelle est-elle ? La question n'a pas encore trouvé sa réponse.

 

La photochimie (assez complexe) qui a lieu en haute atmosphère a pour résultat la formation d'éthane C2H6 principalement, mais aussi d'hydrocarbures(5) et autres composés organiques(6), sous forme notamment d' (particules à l'état liquide ou solide en suspension dans un gaz) : schéma récapitulatif ci-dessous (figure 9). Ces composés forment ce qu'on appelle des tholins(7).

 

477px-Formation_of_tholins_in_Titan-s_upper_atmosphere.svg.png

 

Figure 9 : schéma illustrant la photochimie qui a lieu dans la haute atmosphère de Titan.

 

Les sources de dissociation et d'ionisation sont les rayons UV du Soleil ainsi que les particules énergétiques provenant de la magnétosphère(1) de Saturne et des rayons cosmiques(2).

De nombreux composés organiques(6) sont formés, dont des hydrocarbures(5).

Une partie de ces composés sont des aérosols(4).

Ils forment ce qu'on appelle des tholins(7), responsables du réchauffement de l'atmosphère, par absorption du rayonnement.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces aérosols(4) de tholins(7) absorbent énormément les rayons du Soleil : ils contribuent ainsi à chauffer la haute atmosphère, et protègent la surface de ce rayonnement.

Ces aérosols (en suspension) perdent de l'altitude petit à petit et les composés organiques(6) se condensent et forment un brouillard orangé entre 200 et 300 km d'altitude. Ce sont ces composés qui sont responsables de la couleur orangée de l'atmosphère de Titan.

Ces composés retombent ensuite sur Titan en pluie, où ils s'accumulent en couche spongieuse à la surface, lui donnant également une couleur orangée.

 

NB : l'azote est lui aussi dissocié en haute atmosphère.

Le méthane aurait un rôle important dans la maintenance de l'atmosphère constituée en grande partie d'azote, qui se serait condensée progressivement sans la réchauffement provoqué par le brouillard de tholins.

 

 

 

Profil vertical de vent zonal (DWE)

 

Les vents dans l'atmosphère de Titan sont progrades : c'est à dire qu'ils font une rotation dans le même sens que la surface du satellite (d'ouest en est). La conséquence est donc une super-rotation de l'atmosphère, comme sur Vénus.

L'origine et les raisons du maintien de cette super-rotation sont encore inconnues.

 

dwe_fig.JPG

 

Figure 10 : Profil de la vitesse du vent zonal.

 

Entre 120 et 150 km d'altitude, la vitesse atteint 9 fois la vitesse de rotation de la surface !

 

A 80 km, la vitesse du vent est quasi-nulle : ce phénomène reste inexpliqué...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DISR_wind.JPG

 

 

Figure 11 : vitesse et sens de rotation du vent (mesuré par DISR)

 

On remarque, autour de 8 km d'altitude, un changement de direction du vent : ce phénomène est inexpliqué.

 

De plus, le vent près de la surface a une vitesse quasi-nulle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Petit résumé :

 

La sonde Huygens a donc fait toute une batterie de mesures durant sa descente pour mesurer certains paramètres de l'atmosphère. Voici un petit schéma récapitulatif de l'atmosphère de Titan et des phénomènes qui s'y déroulent :


800px-Titan_atmosphere_detail-modif.svg.PNG

 

 

De nombreuses questions restent encore sans réponse :

Quelle est la source de méthane sur Titan ?

Quelle est l'origine de la super-rotation de l'atmosphère ?

Pourquoi les vents ont-ils une vitesse quasi-nulle autour de 80 km d'altitude ?

Pourquoi la direction des vents s'inverse autour de 8 km d'altitude ?

 

Et quelle est l'origine de cette atmosphère ?

 

 

 

Morphologie de la surface

 

titan5km_huygens.jpg

Figure 12 : Vue panoramique de la surface de Titan à grand angle, à 5 km d'altitude environ

 

Le brouillard, qui cache la surface de Titan, a été détecté tout au long de la descente, contrairement aux prédictions des modèles qui présumaient une atmosphère claire en dessous de 60 km d'altitude.

Néanmoins ce brouillard était assez transparent pour obtenir de belles images de la surface dès 40 km d'altitude !

 

panorama-descente-surface.jpg

Figure 13 : panorama à 360° pris pendant la descente de la sonde, à une altitude moyenne de 8 km. Résolution d'environ 20 mètres par pixel.

On distingue un plateau à gauche...

 

 

Les photos prises pendant la descente révèlent un monde extraordinaire et complexe :

 

- Des taches sombres et claires, dont on ne connait pas encore vraiment les caractéristiques.

 

- Un réseau fluvial assez développé : cela est la trace d'un écoulement (actuel ou passé) de longue durée et suffisamment rapide, sans doute de méthane liquide

 

titan riviere pia07236-516

 

 

 

Figure 14 : photo prise par DISR pendant la descente : elle met en évidence le réseau fluvial : on observe un réseau de petits chenaux qui semblent provenir de sources différentes et rejoindre un littoral.

Sur la photo on distingue également des nuages...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Une absence de cratères. En planétologie, plus une surface présente de cratères d'impacts, plus elle est vieille... Les autres satellites de Saturne ayant beaucoup plus de cratères à leur surface que Titan, on pourrait conclure, un peu rapidement, que la surface (et donc Titan lui-même) est plus jeune que les autres satellites. Cependant il ne faut pas oublier que Titan présente une atmosphère et des traces d'écoulement : il y a donc des sources d'érosion (vents, liquide) qui pourraient expliquer la disparition des cratères : les plus petits sont érodés, les plus grands pourraient être devenus des lacs de méthane... Sur les photos prises par la sonde on distingue des structures circulaires qui pourraient bien être des traces de ces cratères.

 

Le fait que la surface soit érodée indique que l'atmosphère de Titan est ancienne, ce qui écarte les scénarii dans lesquels l'atmosphère de Titan est au coeur d'une phase de transition dans l'histoire du satellite.

 

littoralmosaic-med.jpg

Figure 15 : composé de 30 images de Titan, prises entre 13 et 8 km d'altitude, avec une résolution de 20 mètres par pixels.

Le réseau fluvial est encore une fois mis en évidence, ainsi que le littoral, et les nuages en bas à droite.

 

 

 

Le site d'atterrisage

 

Vidéo qui compile plusieurs images prises pendant la descente : ici (NASA)

Vidéo de la surface pendant la descente : ici (NASA)

 

La sonde Huygens a été conçue pour pouvoir atterrir sur un sol solide ou liquide, étant donné qu'on ne savait pas ce qu'on allait trouver à l'arrivée !

Elle s'est donc posée sur un sol solide mais meuble : la sonde s'y est un peu enfoncée à son arrivée. Le sol aurait la consistance d'un sable imprégné de liquide : en l'occurence il s'agit de glace d'eau imprégnée de méthane et d'ammoniac liquide.

 

landing_01.jpg

sol-tit-HR.jpg

landing_03.jpgLa caméra de la sonde a pris une seule photo du paysage, étant donné qu'elle ne pouvait pas effectuer de rotation sur elle-même (ce n'était pas prévu). Elle a été prise en noir et blanc, et d'après les mesures d'absorption du spectre, on a

redonné des couleurs qui doivent être proches de la réalité.

 

Figures 16 et 17 : photo du site d'atterrissage en noir et blanc puis en fausses couleurs

 

Figure 18 : photo annotée

 

Le sol du site était plat mais pas lisse.

On remarque, sur cette photo, la présence de galets (eau sous forme de glace) : 1 2 3 et 8 sont assez plats, de forme ellipsoïde et grands d'une dizaine de cm.

La forme de ces galets n'a pu être obtenue que par une érosion fluviale : c'est encore un indicateur de l'écoulement de fluides à la surface de Titan.

La couleur orangée du sol est du à la couche de composés organiques(6) déposés (cf paragraphe sur le cycle du méthane)

 

 

Composition de la surface

 

spectral-plot-410.jpg

 

Figure 19 : spectre de la lumière (du soleil) réfléchie sur le sol de Titan : mesure de DISR à 100 mètres d'altitude.

 

Ce spectre met en évidence le fait que le sol est composé en majeure partie de glace d'eau.

 

C'est le premier spectre réalisé affranchi de la l'atmosphère de Titan.

 

 

 

 

TSurfaceSpectrum.jpg

Figure 20 : Spectre de masse de la surface.

 

On remarque qu'il y a à la surface des composés qui sont absents de l'atmosphère : par exemple C6H6 et C2N2. Cela suggère qu'il se déroule à la surface de Titan une chimie complexe, au même titre que dans son atmosphère, mais complètement indépendante.

 

 

 

 

Conclusion

 

On a vendu cette mission en insistant sur le fait que l'on pourrait trouver des traces de vie sur Titan. Ce ne fut pas le cas, et aujourd'hui il est presque impensable qu'il y en ait sur le satellite. En revanche, cette mission a permis la découverte d'un monde extraordinaire et complexe !

 

L'atmosphère de Titan est proche de celle de la Terre sous bien des aspects (dynamique, chimie, cycle du méthane...) et pourrait être une source importante d'informations sur l'atmosphère primordiale de la Terre.

 

La mesure précise des composants chimiques de l'atmosphère ainsi que de leur abondance fournit des contraintes aux modèles expliquant l'origine et l'évolution de l'atmosphère de Titan. Cela permet donc d'éliminer les théories qui ne peuvent pas expliquer ces mesures.

 

En sciences, on ne valide pas une théorie, mais on infirme toutes les théories concurrentes.

 

Enfin, on remarque que la surface est étonnamment variée et érodée à cause des vents, des pluies et des écoulements de fluides.

Certaines questions restent sans réponse.

La sonde Cassini a mis en évidence l'éxistence de lacs de méthane.

On cherche des traces de cryovolcanisme.

On pense qu'il existe des saisons, notamment on envisage la possibilité d'une sorte de "saison des pluies" durant laquelle les pluies et les écoulements en surface de méthane liquide sont plus importants.

 

Ce fut donc une aventure extraordinaire ! Première sonde posée sur un objet du système solaire externe, premier pas dans la connaissance de cet étonnant satellite...

 

Pour compléter cette première étude, et répondre aux questions soulevées par ses résultats, une deuxième mission partagée par la NASA et l'ESA est prévue : TSSM : Titan Saturn System Mission. Cette deuxième mission sera bien plus développée encore que la mission Huygens, et son lancement est prévu en 2020 (résultats autour de 2030...).

 

 

 

Glossaire 

 

1- Magnétosphère : région entourant un objet céleste dans laquelle les phénomènes physiques sont dominés ou organisés par son champ magnétique

 

2- Rayonnement cosmique : flux noyaux atomiques et de particules de haute énergie (c'est-à-dire relativistes) qui circulent dans le vide interstellaire. Les rayons cosmiques sont aussi appelés "astroparticules".

 

3- Onde de gravité : variation de pression atmosphérique concentriques créées par la chute d'une masse d'air (par exemple en raison du relief du terrain) et qui subit la poussée d'Archimède, car elle a une densité différente de l'environnement. Ces ondes sont l'équivalent d'une vague dans un espace à trois dimensions. A ne pas confondre avec les ondes gravitationnelles, prévues par la relativité générale.

 

4- Aérosol : ensemble de particules, solides ou liquides, d'une substance chimique donnée, en suspension dans un milieu gazeux.

 

5- Hydrocarbure : composé organique(6) contenant exclusivement des atomes de carbone (C) et d'hydrogène (H)

 

6- Composé organique : composé chimique qui contient au moins un atome de carbone lié à au moins un atome d'hydrogène. Les hydrocarbures sont des composés organiques.

 

7- Tholin : composé organique mal connu, parfois azoté, composé de molécules diverses, produit sous l'effet de rayonnement UV, à partir de composés organiques simples (par exemple méthane, éthane, acétylène...) et en présence d'azote ou d'eau.

 

 

 

Bibliographie

 

Sites officiels des instruments de Huygens :

 

- HASI : site de l'ESA (en anglais), site de LESIA (en français), site officiel (en anglais)

- GCMS : site de la nasa (en anglais); site de l'ESA (en anglais)

- DWE : site de l'ESA (en anglais)

- DISR : site de l'ESA (en anglais)

- ACP : site de l'ESA (en anglais)

- SSP : site de l'ESA (en anglais)

 

Références :

 

Site de "The Planetary Society", données de la sonde Huygens commentées (en anglais)

Flashespace.com : différents articles concernant les résultats de Titan (en français)

 

Site du Dr R. Raynal, de l'université de Toulouse, et spécialiste en exobiologie. Je conseille vivement ce site qui donne une description très complète des connaissances acquises sur Titan ! (en français)

 

Site de l'agence spatiale européenne (en anglais)

 

Site de Ciel des Hommes : explication sur la photo de la figure 12

 

Site de Nature : collection d'articles sur le sujet (accès libre pour la plupart, en pdf, en anglais)

Je me suis particulièrement appuyée sur les articles suivants :

- In situ measurements of the physical characteristics of Titan’s environment
- An overview of the descent and landing of the Huygens probe on Titan
- The abundances of constituents of Titan’s atmosphere from the GCMS instrument on the Huygens probe

Nature, 8 December 2005

 

Atmospheric electrification in the Solar System, Karen Aplin, juillet 2005 (article)

 

La sonde Huygens explore Titan, Athéna Coustenis et Bruno Bézard (Observatoire de Paris-Meudon), article de Images de la Physique 2008

 

 

 

Pour en savoir plus

 

Articles

 

Science 307, N°5713, 25 February 2005, "Cassini arrives at Saturn"

Nature 10 March 2005, "Imaging of Titan from the Cassini spacecraft"

Nature, Dec. 8, 2005, "The Huygens probes on Titan"

 

Geophyscal Research Letters vols. 32 et 33

Icarus vols. 173 et 182-183 et 186

Nature vols. 438 et 442

Journal of Geophysical Research vol. 111

Science vols. 308 et 310,

Earth Moon and Planets vol. 96

Planetary and Space Science vols. 47, 49, 53 et 54

Space Science Reviews vols. 114 et 115

Advances in Space Research vols. 26, 28, 33 et 36

 

Le volume 104 de Space Science Reviews regroupe les articles décrivant les instruments de Huygens et la mission en général.

 

Ouvrages

 

- Courtenis A., Taylor F.W., 2008. "Titan: exploring an Earth-like World". World Scientific Press, Singapore

- Lorenz R., Mitton J., 2008. "Titan Unveilled: Saturn's Mysterious Moon Explored". Princeton Univ. Press.

- The outer planets and their Moons, 2005. T. Encrenaz, R. Kallenbach, T. C. Owen and C. Sotin (Eds), Space Science Series of ISSI, Vol 19, Springer.

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