Hommage à Evry Schatzman

Publié le 26 mai 2011 par Sophie

Hier, sur le site de Meudon de l'Observatoire de Paris, le Laboratoire d'Astrophysique de Meudon a changé de nom, prenant celui de son créateur, Evry Schatzman, grand astrophysicien français décédé le 25 avril 2010.

A l'occasion de l'inauguration du bâtiment, des intervenants qui ont connu et travaillé avec Evry Schatzman ont partagé leurs souvenirs dans un hommage à l'astrophysicien prolifique.

Petite biographie

portrait d'Evry Schatzman Evry est né le 16 septembre 1920 à Neuilly-sur-Seine. Il intègre l'école normale supérieure en 1939. Son jeune âge lui épargne d'être mobilisé, mais ses origines juives le contraignent rapidement à la clandestinité. Notamment, à partir de 1943, il est caché par les astrophysiciens de l'Observatoire de Haute-Provence, sous le nom de Antoine Emile Louis Sellier. Il a alors accès à la bibliothèque de l'observatoire, et se forme tout seul à l'astrophysique. Il faut souligner qu'à l'époque, l'astrophysique était très peu enseignée en France : seul un ou deux astrophysiciens étaient également enseignants.

Selon Evry, une science qui n'est pas enseignée n'évolue pas. Il a accordé beaucoup d'importance à l'enseignement durant toute sa carrière.

Son séjour le marqua si bien qu'il confessa bien plus tard se sentir redevable à la France et à ces astrophysiciens de l'avoir protégé : il se devait donc de réussir au mieux sa carrière.

Il commence donc ses recherches, avec comme premier sujet, les naines blanches. On peut dire que sa carrière scientifique commence à ce moment. Il commence alors à échanger des lettres avec le CNRS, sous son pseudonyme.

En 1944, il rentre à Paris, et rencontre notamment Jean-Claude Pecker, qui deviendra son élève et surtout son ami. Les deux hommes avaient en commun, au sortir de la guerre, des proches partis pour Auschwitz (le père d'Evry et les parents de Schatzman). Aucun ne revint, et il est certain que ce fut un des facteurs qui les a rapproché.

Evry passe son agrégation et obtient un poste au CNRS en 1945. Il soutient sa thèse en mars 1946.

Il est ensuite chercheur à l'Institut d'Astrophysique de Paris. Officieusement, il s'occupe de la thèse de Pecker.

Evry s'intéresse à beaucoup de sujets. Dans les années 60, la recherche recrute énormément de personnes. Evry occupe le deuxième étage de l'Institut, prévu pour 5 personnes. Ils seront jusqu'à 20 étudiants en thèse, tous serrés dans les bureaux. Evry donnait, lorsqu'un étudiant de thèse arrivait, un sujet, sans lui laisser vraiment le choix. Aucun étudiant ne travaillait sur la même chose ! Evry couvrait ainsi tous les domaines de l'astrophysique. Les étudiants travaillaient seuls, et Evry les aidait tous.

Mais depuis un moment, Evry Schatzman pense quitter les locaux exigus de Paris pour aller installer un nouveau laboratoire à Meudon. Monter et construire le Laboratoire d'Astrophysique de Meudon prendra dix ans. Au final, un manque de moyens reduira le bâtiment par rapport aux prévisions. Les cheminées étaient du côté de la tour solaire, si bien qu'il a fallu construire le bâtiment tourné de 90°, pour éviter que la fumée ne gène les observateurs. C'est pour cela que lorsqu'on arrive, on se retrouve devant le quai de chargement, et que l'entrée principale se trouve "derrière" !

Les toits fuient un peu, les portes ferment mal, mais quel bonheur d'avoir autant de place ! des bureaux, des salles de réunion, un amphithéâtre, une cantine rien que pour eux et des locaux pour les visiteurs ! Les astrophysiciens sont heureux d'emménager. Le laboratoire pouvait accueillir 40 chercheurs, et il fut vite rempli !

Le LAM est aujourd'hui rebaptisé "bâtiment Evry Schatzman", on lui devait bien cela...

LAM-et-tour-solaire à Meudon

Le bâtiment Evry Schatzman est en bas à gauche. On remarque la tour solaire en bas à droite.

Image satellite du site Michelin.

Mais qui était vraiment Evry Schatzman ?

Evry n'était pas seulement un très grand chercheur, mais également un militant, un humaniste, un gestionnaire, et surtout un professeur...

Evry Schatzman professeur.jpg

Evry s'est beaucoup investit dans le syndicalisme de la recherche. Il devient même secrétaire général du Syndicat National de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

Il était également un rationaliste, et combattait l'obscurantisme de l'astrologie, des OVNI et des parasciences en général. Il a présidé l'Union Rationaliste pendant plus de trente ans. Il a défendu les principes de laïcité et d'esprit critique.

Il était aussi un humaniste, condamnant le totalitarisme, défendant les droits de l'homme, la démocratie, la place des femmes dans la société (et en particulier dans le domaine scientifique), la culture scientifique pour tous...

Même si ce n'était sans doute pas la facette qu'il préférait, Evry Schatzman était également un gestionnaire : participant à de nombreuses commissions, au CNRS, au CNES, au Ministère de l'Enseignement Supérieur... Il a créé le Laboratoire d'Astrophysique de Meudon (voir plus haut), était membre de nombreuses sociétés scientifiques et était syndicalement très actif...

Mais surtout, il était un professeur. Il était très important selon lui d'enseigner : c'était le moyen de former de nouveaux chercheur, d'apporter de la nouveauté, d'avancer au rythme des idées nouvelles. Lorsqu'il arrivait en cours, il disposait sur son bureau 4 à 5 livres truffés de marques-page, ouvert au chapitre concerné, et faisait ensuite son cours en piochant les informations dans les différents ouvrage. C'était parfois peu préparé, mais toujours passionnant, dit-on. Et cela donnait aux étudiants une idée de comment se déroulait des recherches scientifiques... On dit parfois qu'il était sévère, mais ce qui est vrai, c'est qu'il était sûrement exigeant, et son jugement était parfois craint car il était très respecté !

Petit point sur sa carrière d'astrophysicien

Evry Schatzman, en sortant de l'école Normale, était physicien. Il ne connaissait rien de l'astronomie et à commencé à s'y intéresser et à y consacrer sa thèse lorsqu'il se cachait à l'Observatoire de Haute-Provence en 1943. Il a donc toujours eu une approche très physique de ce domaine, et il était bien plus astrophysicien qu'astronome. On peut même dire qu'il est le père de l'astrophysique théorique française.

Après sa thèse sur les naines blanches, il a travaillé sur de nombreux sujets. Outre le nombre important d'articles publiés, souvent sous son seul nom, on peut souligner le fait que ses recherche ont couvert un large domaine, mais qu'il a toujours étudié ces sujets en profondeur. Il a ainsi fait de remarquables avancées dans plusieurs domaine, le plus connu étant la théorie d'évolution stellaire (nucléosynthèse stellaire...).

Mais également : le chauffage de la couronne solaire par des ondes de choc, la théorie des novae, l'accélération des rayons cosmiques, le freinage de la rotation des étoiles, les neutrinos solaires, matière et antimatière en cosmologie...

Il a reçu de très nombreuses récompenses pour ses travaux, vous pouvez trouver la liste sur le site du CNRS (voir bibliographie)

Un livre qui a marqué des générations d'astrophysiciens

Evry Schatzman a publié beaucoup d'articles, et plusieurs ouvrages. Mais l'un d'entre eux a connu un succès particulier. Il s'agit de l'Astrophysique Générale, écrit avec Jean-Claude Pecker, et publié en 1959. Ce livre a été très utilisé par les étudiants à cette époque, et est resté dans les mémoires. Jean-Claude Pecker était même tombé par hasard sur une édition chinoise du livre, ce qui lui avait fait plaisir !